Internet est un allié formidable pour ceux qui se battent au nom de la Liberté, et sa courte — mais non moins riche — histoire l’a déjà maintes fois prouvé. Des dissidents chinois qui utilisent les réseaux anonymes de Freenet depuis des années pour communiquer et échanger en toute impunité au nez et à la barbe de la République populaire, aux plus récents révolutionnaires des pays du Maghreb qui se servirent, et se servent encore, de réseaux sociaux tels que Facebook ou Tweeter pour s’unir et organiser leurs actions au nom de la Démocratie, en passant par toutes ces organisations et associations qui luttent pour des causes diverses et variées, Internet est le média du XXIe siècle. Le média du peuple.
Et ceci, le gouvernement français l’a bien compris.
De tous temps les différents régimes en place dans le monde ont exercé un droit de véto et de censure sur les médias en activité. Jusqu’à l’avènement de la République démocratique, un écrit (livre, essai ou même poème) ne pouvait être publié sans avoir reçu l’aval express du monarque ou empereur en place, la presse d’opposition était officiellement inexistante et la diffusion d’idées contraires à la politique du régent était un délit passible de prison.
La France, et de nombreux pays du monde occidental à la suite de révolutions survenues aux XVIIIe et XIXe siècles, est un état de droit basé sur le principe de libertés fondamentales et leur droit inaliénable accordé à chaque individu sans distinction de race, de nationalité ou de religion. Une belle utopie, qui a connu bien des difficultés dans son application pratique, mais qui a fait la grandeur de ce pays comme étant la patrie des Droits de l’homme.
Aujourd’hui, Internet, bastion de la Liberté d’expression et de communication, cyber-espace immatériel de neutralité et d’échange, qui semblait jusqu’alors épargné par la censure et se faisait ainsi le vecteur d’une idéologie fondée sur le partage et la libre communication, est la cible de malversations politiques qui visent à restreindre le pouvoir et les libertés de ses utilisateurs. Un pouvoir que nos dirigeants rechignent à nous accorder et dont ils préfèrent jouir égoïstement en manipulateurs et profiteurs.
Et ceux-ci n’hésitent pas à fouler au pied la Constitution elle-même pour parvenir à leurs fins.
Le filtrage du Net est une pratique anticonstitutionnelle
Le 4e article de la Loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) octroi, entre autres, à l’autorité administrative française le droit d’imposer aux fournisseurs d’accès à Internet le filtrage de sites Internet diffusant des images ou représentations de mineurs à caractère pornographique et ceci sans nécessiter le moindre contrôle ou accord d’un juge par décision de justice dans le cadre d’une procédure administrative légale.
Cette loi est en conflit avec la décision du Conseil constitutionnel considérant que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » et qu’en conséquence « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
En effet, une simple autorité administrative peut-elle être détentrice d’un tel pouvoir de décision sans avoir à entamer la moindre procédure judiciaire et de plus prétendre bafouer le droit élémentaire qu’est celui de la liberté d’expression ? Cette censure arbitraire outrepasse le précepte fondamental de la séparation des pouvoirs que nous assure le principe de primauté du droit, pour offrir au gouvernement, dépositaire du pouvoir exécutif, la possibilité de s’émanciper des contraintes et limites imposées par l’existence du pouvoir judiciaire. Ce principe même est inconcevable dans un état de droit tel que la France.
Le filtrage du Net est inefficace dans le cadre de la lutte contre le trafic de la pédo-pornographie sur Internet
Outre le fait que les sites Internet pédo-pornographiques soient aujourd’hui extrêmement rares, sinon inexistants, et ne représentent qu’un infime et insignifiant pourcentage du commerce de la pornographie infantile en ligne, le filtrage ne représente pas une solution adaptée à la traque des personnes qui en sont clientes et des organisation responsables de sa production et de sa diffusion.
Les méthodes de contournement des filtres gouvernementaux sont nombreuses et aisément accessibles à l’internaute lambda. Il va donc sans dire que les diffuseurs de pédo-pornographie, passés maîtres dans l’utilisation des réseaux alternatifs isolés de l’Internet public, tiennent à la disposition de leurs clients des moyens technologiquement avancés qui garantissent leur anonymat. Il s’agit là de criminels organisés, dotés de moyens financiers importants et entourés de techniciens compétents, ce dont semble cruellement manquer le gouvernement français. Le filtrage est à la lutte contre le commerce de la pornographie infantile ce que la bicyclette est au poisson rouge ; parfaitement inutile.
« À l’heure où des millions de Chinois contournent sans soucis le système de filtrage le plus sophistiqué au monde, s’imaginer que les amateurs de pédo-pornographie ne feront pas de même avec le filtrage est une hérésie. » Fabrice Epelboin, anlalyse de An Insight into Child Porn.
Ne serait-il pas plus productif d’injecter les fonds destinés à l’application du filtrage du Net dans la traque de ces commerçants que mènent la Police, la Gendarmerie française et d’autres organisations internationales ? Et pourquoi ne pas simplement supprimer les-dits sites ainsi que l’a fait l’Allemagne en 2010 ? Procédé bien moins onéreux et bien plus rapide en terme d’efficacité ; sur Le contribuable apprécie peu de voir son argent jeté par les fenêtres. Et encore moins utilisé à des fins malhonnêtes à l’encontre de sa personne et de ses libertés.
« Les Russes ont construit depuis quatre ans des solutions complètes en prévision d’une arrivée massive du filtrage et afin de pérenniser leurs affaires. Cela n’empêchera pas les gouvernements européens de dépenser des sommes indécentes dans des systèmes, au mieux irrationnels, au pire destinés à surveiller les populations, pour éventuellement pouvoir les contrôler un jour. » Anonyme, An Insight into Child Porn.
Le filtrage du Net est une atteinte disproportionnée à l’exercice de la Liberté d’expression en comparaison de ses objectifs
« Au cas où ce ne soit toujours pas clair : la technologie n’est pas la solution pour lutter contre les contenus pédophiles. Aucun filtre, aucune censure et aucun système de surveillance ne peut y faire quoi que ce soit.
Avant de vous lancer tête baissée dans une escalade des moyens de surveillance et de filtrage, demandez vous contre qui ces armes sont destinées à être utilisées.
Réveillez-vous. Demain, il sera trop tard. » Anonyme, An Insight into Child Porn.
Toutes les dérives sont-elles autorisées au nom de la lutte contre ce pédophile qui représente aujourd’hui le mal absolu ?
Il semble à priori impossible d’empêcher le blocage de sites Internet parfaitement licites, qu’il s’agisse d’une erreur due à l’automatisation du procédé ou d’une décision arbitraire motivée par des raisons malveillantes de la part de l’autorité administrative ou de personnes pouvant influer sur les décisions. Dans les deux cas il s’agit incontestablement d’une atteinte illégitime à la liberté de communication en ligne, telle que l’ont subit des milliers de sites légaux en Australie en 2009 ou Wikipédia et l’ensemble des sites de la fondation Wikimédia au Royaume-Uni l’année précédente.
Ces dérives constituent une violation des droits et libertés garantis par la Constitution de la Ve République.
En conclusion
En vertu de la décision du Conseil constitutionnel, étant donné les importants risques de blocages abusifs et d’atteinte à la Liberté d’expression engendrés par l’application de l’article 4 de la LOPPSI qui permet à une autorité administrative seule de dresser la liste des sites à filtrer sans que ne soit prévue la moindre mesure judiciaire de contrôle — de manière donc anticonstitutionnelle — et de l’inefficacité prévisible de ce dispositif, le filtrage de sites pédo-pornographiques paraît être une mesure largement disproportionnée et ne peut, en conséquence, être appliquée. Les-dites raisons justifient la censure de cet article par le Conseil constitutionnel.
Sources et bibliographie